Mode de vie

Pleins feux sur l’artiste Tawny Chatmon

Les œuvres de Chatmon basées sur des photographies incarnent un âge d’or de l’innovation.

The Awakening/Covered [Le réveil/couverte] (2017)
The Awakening/Covered [Le réveil/couverte] (2017)

L’artiste Tawny Chatmon compte parmi les nombreux talents afro-américains qui s’imposent en cette ère de transformation collective. Alors que les galeries, musées et autres espaces d’art sont à réévaluer leurs énoncés de mission et se penchent sérieusement sur les possibilités qu’offre la diversité pour améliorer leurs environnements, des talents comme Chatmon continuent d’alimenter la conversation sur l’égalité. Ses montages de photos et peinture célèbrent de façon spectaculaire la beauté des Noirs. Elle manipule les portraits photographiques à l’aide de logiciels numériques et les orne ensuite par des motifs à l’acrylique et à la feuille d’or.

Une grande part de son œuvre partage une sensibilité esthétique avec les peintures de la période dorée de Gustav Klimt. Le peintre symboliste autrichien, connu pour ses toiles intenses, dorées, baignées d’une intimité romantique, est une de ses influences. Klimt utilisait des motifs de mosaïque dorés et texturés en ornements élaborés qui évoquaient les reliques byzantines. Bien que Chatmon utilise des motifs et couleurs d’une façon très similaire à celle de Klimt, ses intentions sont tout autres. Elle veut émuler dans sa propre création les sentiments de pouvoir, de magnificence et de beauté qu’elle ressent devant Klimt. « J’essaie de dire à ceux et celles qui posent pour moi que ce sont des personnes importantes, qui ont de la valeur, qui sont beaux et belles », explique-t-elle.

Avant de s’intéresser aux beaux-arts, Chatmon, d’abord formée aux arts de la scène, a travaillé comme designer et photographe commerciale. Ce n’est qu’après le décès de son père qu’elle a réévalué son potentiel. Elle s’était beaucoup occupée de son père pendant sa maladie et peu de temps avant qu’il meure, il lui avait donné un important conseil : « Quand je vois tout ce que tu fais pour moi… pourquoi ne travailles-tu pas aussi fort pour tes photos? », se rappelle-t-elle. Après sa mort, Chatmon a traversé un deuil difficile. « Une partie de moi ne voulait plus rien faire, dit-elle, et ensuite, l’autre partie de moi voulait qu’il soit fier de moi et voulait suivre son conseil. »

Peu après, Chatmon a commencé à percevoir différemment son propre rôle parental. « Sa perte m’a fait réfléchir à ce que ressentiraient mes enfants sans moi. Que feraient-ils? Avec tout ce qui se passe dans le monde, la pensée de laisser mes enfants derrière moi me troublait. Je me suis mise alors à me concentrer sur la création d’œuvres d’art. » Et sa façon de le faire était de créer de magnifiques portraits de Noirs, un art qui reflète le monde où elle veut voir vivre ses enfants. « Moi et mes enfants, nous allions à des manifestations, nous faisions des dons à divers organismes, mais je cherchais toujours ce que je pouvais faire de plus? » Ce n’est qu’au moment où l’artiste du Maryland s’est interrogée plus en profondeur sur la façon dont elle contribuait au monde qu’elle souhaitait pour ses enfants que de nouveaux concepts et thèmes ont commencé à guider ses images. Des questions clés comme « Quelle pourrait être ma contribution à un certain changement? » ont éclairé son processus créatif, jusqu’à ce qu’elle laisse ses photographies parler pour elle. « Mon travail, dit-elle, est devenu plus puissant que tout ce que je peux dire. »

« Je sais depuis toujours que je suis une femme noire », ajoute-t-elle, en soulignant l’inégalité qu’elle a connue et vécue depuis sa naissance. Après être devenue mère, son activisme a commencé à germer et elle s’est mise instinctivement à songer aux implications de créer un monde meilleur pour sa famille. « Être mère m’a confirmé qu’aucune discrimination n’était acceptable pour mes enfants. Toutes mes préoccupations et toutes les émotions qui s’y rattachaient se sont alors déversées dans mon travail », explique-t-elle. Son but est de transmettre les sentiments d’excellence qu’elle voit dans ses sujets et dans l’avenir de l’art afro-américain. Chatmon veut que quiconque regarde ses créations ressente le même sentiment de puissance qu’elle a ressenti lorsqu’elle a vu une toile de Klimt pour la première fois : « Je veux que la personne qui voit mes œuvres ressente ces sentiments de pouvoir, de magnificence. »

Gauche: In Your Hoodie or Your White Tee [Dans ton anorak ou ton t-shirt blanc] (2021) , Droite: But She Already Knew They Were More Precious Than all the Jewels and Gold in the World [Mais elle savait déjà qu’ils étaient plus précieux que tous les bijoux et tout l’or du monde] (2020)
In Your Hoodie or Your White Tee [Dans ton anorak ou ton t-shirt blanc] (2021), But She Already Knew They Were More Precious Than all the Jewels and Gold [Mais elle savait déjà qu’ils étaient plus précieux que tous les bijoux et tout l’or du monde] (2020)

Une grande part de cette majesté réside dans la façon dont elle voit sa propre famille – qui est au cœur de sa démarche artistique. Jusqu’à tout récemment, beaucoup de ses œuvres étaient des portraits de ses proches. « Les sujets sont surtout mes enfants, mes parents, mes neveux et nièces, mes filleuls, ce qui me rend le travail toujours très personnel », dit-elle. Et c’est pourquoi Chatmon met autant de soin dans la présentation de ce qu’elle imagine. Par exemple, un moment charnière de la création d’une image fait appel à tout un éventail de logiciels de design qui lui permet de manipuler ses photographies. Une fois celles-ci imprimées, Chatmon les dispose sur des tables de son studio avant d’appliquer de l’or 24 carats ou des bijoux à ses clichés. Elle procède ainsi, car le travail méticuleux et laborieux nécessaire à l’ornementation de chaque image exige du temps, de la précision et des décisions esthétiques par lesquelles elle espère motiver ceux qui contemplent son art.

Cette préoccupation est délibérée, sans rien d’accidentel. Chatmon fait partie d’un groupe d’artistes axés sur la production d’images où les Noirs sont le point de mire. En d’autres mots, elle est convaincue que la représentation est la clé pour changer le monde. « L’art noir créé par des artistes noirs consiste à nous célébrer. Nous racontons nos propres histoires. Nous nous présentons comme étant plus qu’un arrière-plan, plus que ces “autres”. »

Cela ne saurait être plus évident que dans la manière dont Chatmon intègre des bijoux et des symboles africains dans ses portraits. Le but de conférer de la grandeur à quiconque fait l’objet de ses portraits est brillamment atteint avec un clin d’œil aux techniques de peintres de la Renaissance comme Sandro Botticelli qui utilisaient la feuille d’or pour embellir et mettre en valeur ses sujets. Chatmon est également fascinée par le symbole sankofa africain, de même que par les oiseaux, qui lui semblent être « notre connexion avec nos ancêtres, notre connexion entre le ciel et la terre. » Elle est également connue pour les cœurs à l’envers qu’elle ajoute à certaines de ses œuvres, qu’elle a découverts sur des pierres tombales lors d’un voyage de recherche sur les cimetières noirs sur le trajet du « chemin de fer clandestin ». La prochaine série de portraits de Chatmon promet d’être une nouvelle expression de sa connaissance de l’art mondial et de son intérêt durable pour le passé et le futur de cet art. Elle explore la combinaison du collage et de la peinture par la curation élaborée et méticuleuse de paysages historiques tirés de la collection du Metropolitan de New York. Intitulée « Scènes pastorales », la série sera incluse dans la prochaine exposition Personal Structures à la Biennale de Venise. Présentées du 23 avril au 27 novembre, les visions de Chatmon répondront à ce qu’elle considérait autrefois comme une ambition élevée : défendre l’idée de l’excellence des Noirs à l’échelle mondiale.

The Awakening/Braiding Hour [Le réveil/l’heure des tresses] (2017)
The Awakening/Braiding Hour [Le réveil/l’heure des tresses] (2017)

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