À quelque 400 kilomètres à l’est de Bali, aux confins sud du vaste archipel indonésien, se trouve l’île Sumba. Vue du ciel, elle ressemble à une virgule vert émeraude perdue dans une mer bleu azur. En voiture, sur le trajet de 90 minutes du petit aéroport de Tambolaka jusqu’à la côte sud-ouest de Sumba, après de profondes vallées de forêt humide, une réalité poussiéreuse sortie tout droit du passé émerge : dans des villages de huttes de bambou encerclant des tombes de pierre mégalithique batu kubur, des femmes enroulées dans leur sarong transportent des contenants d’eau sur leur tête. Ici et là, au bord de la route, des kiosques déserts proposent des bouteilles d’essence. Autrement, la seule entreprise commerciale que je vois sur tout le parcours est une petite cabane en bois où l’on vend du sucre, du riz, des fèves de café local et du poisson fraîchement pêché.
Redonner à la collectivité sur l’île Sumba
Sur une île éloignée en Indonésie, un des hôtels de luxe les plus réputés du monde – le Nihiwatu – est également l’un des plus engagés auprès de la collectivité.
De Debra Weiner - 14 mai 2018
Environ de la taille de la région parisienne, comptant 700 000 habitants, Sumba accueille des centaines de tribus parlant au moins 20 langues distinctes et pratiquant un ancien culte animiste des ancêtres appelé Marapu. Je ne me sens pas seulement loin de chez moi – j’ai l’impression d’avoir remonté le temps.
Et ce, jusqu’à ce que nous atteignions une élévation de la route avec un panneau en bois : « Bienvenue à la frontière de la nature sauvage. » En bas, taillé dans un littoral vierge apparemment infini, semé de promontoires de végétation luxuriante et de plages au sable blanc, se trouve le Nihiwatu, complexe touristique cinq étoiles solitaire de l’île.
Je suis reçu au pavillon d’accueil par Jenny Wedo, ma majordome personnelle pour la durée de mon séjour. Cette petite Sumbanaise au sourire perpétuel m’escorte le long du jardin sur un sentier pavé jusqu’à mon élégante villa de deux étages au toit de chaume pointu. Jenny offre de me faire visiter le Nihiwatu, ou du moins une partie de ses 26 hectares développés (sur 230), me suggérant d’aller nu-pieds alors que nous dirigeons vers la mer.
Nous n’allons pas très loin. Près du rustique bar Boathouse sur la plage, cœur et âme du Nihiwatu, où les travailleurs locaux au turban ikat réparent le toit d’herbe alang-alang avec des machettes traditionnelles appelées parangs, je me coupe le pied sur une pierre pointue.
Jenny s’excuse immédiatement, bien que ce ne soit évidemment pas sa faute. Mes pieds sont robustes, dit-elle. Comme la plupart des gens sur Sumba, elle a marché nu-pieds toute sa vie.
Pour certains, l’écart entre un hôtel qui affiche son luxe avec fierté – en tête du palmarès du magazine Travel + Leisure tant en 2016 qu’en 2017 – et ses voisins pauvres peut être troublant. Pour d’autres, comme le globe-trotter américain Claude Graves, c’était l’occasion de redonner à la collectivité. Cet ancien propriétaire de boîte de nuit kényane a fondé l’hôtel en 1999, comme retraite décontractée de surf à six bungalows avec une vague gauche – « la vague divine » – réputée chez les surfeurs du monde entier et strictement limitée à 10 créneaux réservés par jour
En 2001, avec l’aide financière et pratique des clients, Claude Graves a créé la fondation Sumba. Aujourd’hui, 60 puits et des centaines de stations d’eau construits grâce à la Fondation apportent l’eau potable aux 19 000 personnes vivant dans un rayon de 20 kilomètres (12 milles) du Nihiwatu. Les taux d’infection paludiques dans la région ont chuté de 85 %. La Fondation a également mis sur pied cinq dispensaires et 16 écoles, et d’autres doivent s’y ajouter.
« Une foule de surfeurs milliardaires voulaient faire leur part, mais ne savaient pas comment », dit Claude Graves, lui-même surfeur invétéré, débitant une liste de clients célèbres fidèles. « Ils venaient pour la vague et voulaient vivre une expérience, mais rien de superficiel. Nous avons laissé de petites notes dans les chambres, indiquant 15 projets différents qu’ils pourraient soutenir. Nous sommes passés de gratter les fonds de tiroir pour 100 $ à des dons de 10 000 $. Chacun peut y trouver son compte. »
« Ce n’est pas un complexe touristique où on vous amène dans un luxe parfait, coupé du reste du monde… Ici, les clients peuvent faire connaissance avec les gens du coin et leur culture. Ici, vous avez la possibilité de changer quelque chose. »
Chris Burch, magnat américain de la mode, en partenariat avec James McBride, hôtelier sud-africain, a acheté le complexe en 2012, transformant le Nihiwatu en une planque tropicale sensationnelle de 33 villas avec un spa spectaculaire au haut d’une falaise sur un promontoire retiré au-dessus de la mer, accessible à cheval (ou après une randonnée de 90 minutes). Pourtant malgré toutes les améliorations et les plaisirs terrestres, le Nihiwatu, le plus important employeur de l’île avec près de 300 travailleurs locaux, reste fermement engagé à améliorer la vie des habitants de Sumba.
« Ce n’est pas un complexe touristique où on vous amène dans un luxe parfait, coupé du reste du monde », dit Mary Tilson, directrice du yoga et du bien-être du Nihiwatu, après une classe matinale au pavillon de yoga sur la colline – un lieu serein avec vue imprenable sur la plage vierge du Nihiwatu. « Ici, les clients peuvent faire connaissance avec les gens du coin et leur culture. Ici, vous avez la possibilité de changer quelque chose. »
Certains clients professionnels de la santé ont donné un coup de main – des dentistes qui ont traité bénévolement les habitants à la clinique Hobawawi de la Fondation, jusqu’à un spécialiste des brûlures qui a passé une semaine à former les infirmières des cliniques. Tous les clients, enfants compris, sont invités à peindre des murales éducatives pour les écoles voisines. Je m’inscris à la visite organisée par la fondation Sumba et je choisis d’aider à servir de la soupe de haricots mungo le midi aux 130 élèves de l’école primaire d’Alang. Actuellement, la Fondation fournit le déjeuner deux fois la semaine à des écoles de toute l’île. Un dîner-bénéfice et encan silencieux en Californie par un client de longue date du Nihiwatu a permis de recueillir plus de 500 000 $ pour soutenir un troisième déjeuner, en plus de convertir la centrale au biodiesel de copra, qui alimentait le complexe touristique jusqu’en 2015, en cuisine pour les repas scolaires.
Cet après-midi-là de retour au Nihiwatu, sur la plage, je croise une rédactrice de mode londonienne dans la vingtaine et son compagnon. Ils ont fait eux aussi la visite organisée par la Fondation et décidé d’acheter de nouveaux uniformes pour les élèves. « Je connaissais le travail de la Fondation avant de venir », dit-elle. « Mais de voir l’écart entre ici et là-bas… ça vous fait souhaiter devenir meilleure. »
Ils partent en canot pneumatique jusqu’au récif de calcaire et de corail du Nihiwatu pour y faire de la plongée en apnée. Je ne suis pas amateur de sports aquatiques, mais C.J. Kimmell, gérant du Boathouse, m’assure que l’excursion en planche à rame sur le fleuve Wanukaka, c’est du gâteau.
Il a raison. Après une tentative chancelante pour rester debout, je m’assieds les jambes croisées sur ma planche pendant que le courant paresseux m’emporte lentement à travers le paysage local : une femme fait sa lessive, accrochant les vêtements sur un buisson pour les sécher; deux jeunes garçons transportent des fagots de bois pour le feu sur leur dos. Un varan d’un mètre de long apparaît sur la rive avant de disparaître dans les hautes herbes.
« Parfois, je n’arrive pas à croire que je suis ici, sur cette île oubliée de l’Indonésie », dit Kimmell plus tard dans la journée, parmi les clients du Nio Beach Club, le plus décontracté des deux restaurants extérieurs au plancher de sable du complexe. La vague légendaire du Nihiwatu vient se briser devant nous, à 180 mètres au large. Kimmell admire les larges bandes de rouges, de jaunes et de nuances innombrables entre les deux qui s’entremêlent dans le ciel au crépuscule. « C’est fabuleux. »
Je découvre que le lever du soleil peut être tout aussi divin, lorsque je pars le lendemain matin avec le guide Maxi Deta pour une randonnée de deux heures vers « l’île du riz ». La brume se lève sur les montagnes et nous longeons la plage, avant de tourner pour grimper sur un sentier escarpé et vaseux dans la jungle. Mon guide porte des sandales, mais navigue habilement sur ce terrain, me tenant la main pour m’aider à traverser un ruisseau peu profond, et coupe par la forêt, où j’aperçois un vieillard qui ramasse des noix de bétel au sol.
Plus loin, un fermier conduit un buffle à travers une rizière boueuse pour aérer le sol et des hommes recherchent un cheval qui s’est échappé. Pendant des siècles, les poneys robustes indigènes de Sumba ont été un précieux bien d’exportation, troqués avec les commerçants chinois et arabes, puis les Portugais. Aujourd’hui, toujours recherchés, ils font partie (avec les buffles coûteux) des dots et sont sacrifiés aux funérailles pour accompagner le défunt dans l’au-delà.
Enfin, de l’autre côté d’un étroit pont de bambou, nous atteignons la butte appelée « l’île du riz ». De là où je déguste un petit-déjeuner de papaye, melon et riz frit indonésien ou nasi goreng, j’admire une vallée de champs de riz verdoyants qui s’étendent comme une courtepointe jusqu’à la mer, un paysage serein.
Ensuite, Maxi attire mon attention vers une clairière sur une colline éloignée où, quelques semaines plus tôt, des centaines de cavaliers de tribus rivales se sont affrontés avec des épées de bois dans le combat sacré rituel annuel appelé pasola. « Nous savons que le pasola est dangereux, mais c’est notre tradition », explique-t-il. « Cette année, peu de sang a coulé, c’est le signe d’une bonne récolte. »
Plus tard dans la journée, je m’installe dans le salon-salle de jeu à ciel ouvert Menara, sirotant un verre rafraîchissant de thé vert, jus d’ananas et citronelle avec le britannique Chris Bromwich, directeur de l’expansion des affaires et gestionnaire des actifs du Nihiwatu (ainsi que son gourou en résidence de la pêche en haute mer). Je suis curieux d’entendre ce qu’il a à dire sur la renommée du complexe.
« Nous n’avions pas prévu ça », admet-il. « Ce n’est pas seulement un hôtel. C’est une relation avec la collectivité. La façon de laisser une empreinte positive. C’est le cheminement du Nihiwatu. »
Cette histoire a été imprimée à l'origine dans le numéro 29 du magazine Experience publié le 9 octobre, 2017.
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